Les études de médecine

Dr Chantal Friberg:

Les études de médecine au XVIème siècle

1 - L’héritage du Moyen-âge: Universités. Médecins. Scolastique
2 - La Renaissance: Introduction. Médecins. Nouveau dogmatisme
3 - Enseignement de la médecine (cursus universitaire)
4 - Bibliographie

1 - L’héritage du Moyen-Age

Le Moyen-âge est une période caractérisée par l’absence de découvertes majeurs scientifiques ou médicales due à l’instabilité politique et au christianisme. La création des facultés de médecine a cependant donné un renouveau non négligeable au XII ème mais il faut attendre le XVI ème et la Renaissance.

Les Universités  (carte topo)

La médecine fut enseignée à Salerne dès le IX e siècle et au XII ème siècle cette Université était le seul établissement dispensant un enseignement de qualité et en grande partie laïc, en grec, italien et arabe. Les étudiants étaient de tous pays et des deux sexes; une femme, Trotula y enseigna la gynécologie. En 1188 fut créée l’Université de Bologne, Valence en 1209, Oxford en 1214, Paris en 1215, Montpellier en 1220, Naples en 1224, Padoue en 1228 (qui devint dans la république de Venise une des perles de la médecine au milieu du XVIème), Toulouse en 1229, Salamanque en 1230, Rome en 1245. C’est à Salerne que Constantin l’Africain, venu de Carthage traduisit les manuscrits arabes en latin vers 1060. Ce fut un tournant décisif : le noyau des connaissances médicales en occident provient essentiellement de ces traductions. C’est grâce aux arabes que l’occident va connaître les grecs anciens, entre autres Platon, Aristote, Hippocrate et Galien. Il y aura un réveil de la chirurgie qui deviendra une discipline de pointe grâce à la naissance de l’anatomie à Salerne. Cependant elle sera à partir du XIII éme bannie de l’enseignement universitaire.

C’est donc en 1215 que la première réelle Université de Paris fut créée par Philippe Auguste et la médecine y fut enseignée à partir de 1274. L’enseignement était peu brillant. En 1395 l’Université possédait 13 livres, mais aucun ouvrage d’Hippocrate. On se bornait à étudier les textes anciens, surtout ceux de Galien. L’enseignement se faisait en latin, commençait à 6 ou 7 heures le matin et comprenait ce qu’on nommait "les choses naturelles", l’anatomie, la physiologie et l’hygiène. Les maîtres et escholiers se réunissaient à l’église des Mathurins ou à Notre Dame de Paris.Ce n’est qu’en 1470 que les maîtres cessèrent de faire passer les examens à leur domicile car Charles Despars, médecin de Charles VII obtint alors les premiers locaux de la faculté de médecine de Paris (rue de la Boucherie).

Bien que la médecine ait été enseignée à partir de 1220 à Montpellier, et dès 1340 la pratique de la dissection est légalisée, de même qu’à Padoue en 1222 et à Toulouse en 1232, la médecine scolastique (enseignement philosophique et théologique dispensé au moyen âge et très influencé par l’aristotélisme) en vigueur donne la suprématie à la théorie sur la pratique.

L’école arabe avait commencé par traduire les textes byzantins (d’Hippocrate et de Galien) et avait fait progresser la médecine et l’optique à des niveaux jamais atteints par l’Occident chrétien. La Renaissance saura bénéficier de cet apport alors que le carcan idéologique de l’Islam va entraîner un déclin des sciences à partir du XII éme siècle. Le Moyen-Age n’avait eu accès aux textes grecs que par les traductions des auteurs arabes. Les plus connues sont celles de Constantin l’Africain, de Stéphane d’Antioche et de Gérard de Crémone. Les médecins arabes (Rhazés, Isaac Judaeus, Avicenne pour les orientaux; Abucassis, Avenzoar, Averroés et Maïmonide pour les occidentaux) sont des aristotéliciens et des galénistes en majorité mais émettent doutes et critiques et vont interpréter les textes, les adapter à l’Islam.

(Note de la rédaction: Byzance, c´est l´empire romain d’Orient entre 1395 et1453 de langue et de culture grecques. Les byzantins se considèrent comme les vrais héritiers de l’Empire romain. De l’autre côté l’empire romain d’occident, de tradition latine à la langue corrompue en plusieurs langues.)

Les textes de médecins arabes traduits par Constantin l’Africain en latin tels que Isagoge (Hunain Ibn Ishaq) et Pantegni (Ali Ibn al Abbas) enseignent la séparation entre la théorie et la pratique. Selon le premier il existe en théorie des phénomènes soit naturels, soit contre nature ou encore surnaturels qui agissent sur le corps et en pratique on utilisera la diététique, les médicaments et la chirurgie. Pour le second la théorie en médecine ne doit reposer que sur la compréhension rationnelle des phénomènes et la pratique doit mettre les moyens tels que les sens et l’adresse manuelle au service de la raison. Dans le Canon de Avicenne (Abou Ali Ibn Abdillah Ibn Sina), le Galien de l’Islam, traduit en 1100, la théorie est définie par ce qu’il est indispensable de savoir pour le traitement, et la pratique est de mettre les principes médicaux généraux en application en vue de traiter. Cette division entre théorie et pratique est claire et simple et a attiré l’institution médicale.

Dans la médecine scolastique la théorie est en fait une philosophie de la médecine: est-ce une science ou un art ? La séparation entre théorie et pratique est-elle bonne ou souhaitable? Quelles sont les fondements de la physiologie et de la pathologie? Que trouvait-on chez Hippocrate et Galien? L’enseignement d’Aristote pour les médecins?

Galien (129-200) et le Galénisme: né à Pergame, un des grands centres médicaux du monde romain, de langue maternelle grecque, voyagea à Ephèse et Alexandrie pour parfaire ses études de médecine. Il fut médecin des gladiateurs, ce qui lui permit d’étudier l’anatomie mais il ne disséqua jamais de cadavre (impensable chez les grecs). Il émit des idées très pertinentes. Cependant il était défenseur du déterminisme (toute chose occupe une place prédeterminée) ce qui lui fit énoncer des idées à priori et inventer certains phénomènes pour les justifier. Ceci était bien accepté par la faculté au Moyen-Age et satisfaisait les autorités religieuses; n’appartenant à aucune école il se réservait le droit de choisir, pour chaque malade, le concept adapté à la situation pathologique. Il était partisan de la saignée et de l’usage de la thériaque. Ses écrits influencèrent la médecine pendant plus de quinze siècles.

Celse (17- ?), le Cicéron de la médecine, précise les caractères de l’inflammation et décrit le tétanos.Premier traité médical rédigé en latin "Re Medica". Sorannus (98-138) fut gynécologue-obstétricien, il s’intéressa aux nouveaux-nés. Rufus d’Éphèse (110-180) célèbre pour ses travaux sur l’oeil.

Hippocrate (460-370 avant JC): le maître de l’observation et d’une démarche médicale par étapes. Son oeuvre rassemble 59 traités sans ordre ni cohérence et qui ne sont certainement pas tous de sa main. Assez bon en anatomie mais insuffisant, il est moins compétent en physiologie; il prône l’existence des quatre humeurs (sang, bile, atrabile et flegme) qui n’avaient aucune base scientifique, et dont le conflit provoque la maladie avec toutefois le concours de facteurs externes (climat, régime et environnement). La maladie évolue en trois phases: La dégénérescence (des humeurs), la coction (fièvre) et la crise. Le médecin devra établir un diagnostic par un examen soigneux et formuler un pronostic. Pour traiter il ne devra que seconder la nature; peu de médicaments sont utilisés, le régime et l’hygiéne de vie sont au premier plan. Ses traités de chirurgie sont très complets: on sait que les narcotiques étaient utilisés en anesthésie et que les plaies ne pouvant être traitées avec des baumes et des bandages ni opérées étaient cautérisées à l’huile bouillante. A la renaissance on cautérisera à tour de bras, fistules et ulcères compris.
La pensée hippocratique fut la plus durable; ni agressive, ni dogmatique, elle respectait le malade et son entourage. Il laissera un significatif acquis éthique. Le secret médical est absolu.

Hérophile  (358- ?) premier á avoir disséqué, il étudia le cerveau (pressoir d’Hérophile). Erasistrate (?-280) distingue nerfs sensitifs et moteurs. Atomiste et pneumatiste (Les atomes sont activés par le pneuma).

Aristote (384-322 av. JC) "le Stagirite", disciple de Platon et fondateur du Lycée à Athènes (335 av. JC) développa une approche scientifique réelle du monde physique et du monde vivant. Il fut un très grand biologiste (s’intéresse à l’embryologie et fait une classification fixiste du monde adoptée par les arabes; pére de l’anatomie comparée, etc), astronome et physicien. Univers fini, hiérarchisé, selon le rapport en tout être de la forme et de la matière. Théorie des 4 éléments et des 4 opposés fondamentaux: terre, eau, air, feu et froid/sec, froid/humide, chaud/humide, chaud/sec.

Les praticiens: qui étaient-ils?

Jusqu’en 1500 les praticiens sont d’abord des clercs, puis des médecins et des chirurgiens laïques.
Les religieux, les plus considérés, pratiquent la médecine et contrôlent l’apprentissage et les innovations des laïcs. Ils pratiquent gratuitement pour les pauvres dans les Hôtels-Dieu, mouroirs chrétiens où il n’était pas rare de voire trois malades dans le même lit. Les chirurgiens-clercs disparurent vers 1215 par décision écclésiastique. L’Église a profondément marqué les pratiques médicales; longtemps, seuls les clercs savaient lire le latin et les textes étaient conservés dans les monastéres. Les praticiens laïcs illégaux sont excommuniés.

Les médecins sont des intellectuels, apprenant la médecine par la scolastique (enseignement philosophique et théologique des universités du moyen-âge conciliant la foi et la raison) loin de la réalité de l’univers. Ils ne s’abaissent pas à soigner plaies et blessures, et font surtout des diagnostics et des pronostics. On attendait d’eux qu’ils prédisent l’évolution de la maladie plutôt que de la traiter. Ils prescrivaient saignées et lavements (travail des chirurgiens et des apothicaires), observaient la fièvre, le pouls et les urines.

Les chirurgiens (qui ne sont pas des universitaires) sont considérés comme manuels et ravalés au rang de barbiers. Ils formeront des corporations: ceux à robe longue et toque carrée (chirurgiens-barbiers) ayant étudié, promotion accordée par Philippe le Bel en 1311 et ceux à robe courte (les barbiers). Leur tâche augmentera au XV éme avec l’arrivée des armes à feu. Ils tonsurent, placent les ventouses et font les saignées. L’un des plus célèbres, Guy de Chauliac enseigna à Montpellier (1300-1363). Il y aura entre eux et les médecins une guerre sans merci jusqu’à la révolution française où ils seront réunis sous un même diplôme, le doctorat de médecine (1794). Autre chirurgien célébre: Henri de Mondeville (1260-1320?).

Tous dédaignent cordialement les apothicaires et les sage-femmes auxquelles on laisse "que" les naissances.
Les connaissances étant ce qu’elles étaient, lorsque la diète, les médicaments ou la chirurgie n’étaient pas efficaces les gens avaient recours aux traitements "alternatifs": reliques des saints, pélerinage et prière. On avait la pratique du toucher royal des écrouelles: le jour de son sacre le roi était censé guérir les adénites tuberculeuses par le toucher.

Astrologie

Il n’était pas concevable au Moyen-âge d’être médecin sans être astrologue. L’astrologie était enseignée comme science accessoire à Bologne, Pérouse et Padoue ainsi qu’à Florence à des étudiants ayant déjà un diplôme de théologie, droit ou médecine. On ne distinguait pas très bien astrologie (art devinatoire) et astronomie (science). Au début de la renaissance il était difficile de séparer médecine et astrologie, ainsi que magie, astrologie et alchimie même si la critique était sévère. Cependant l’âge d’or de l’astrologie est le XVIème avec Nostradamus (1503-1566) astrologue et médecin, Della Porta (1535-1615) humaniste et physicien auteur de la magie naturelle, Cardan 1501-1576 médecin et savant italien (équation du 3. degré et mode de suspension…).

Rabelais sera astrologue et publiera trois almanachs où il se refuse cependant à toute prédiction si ce n’est sur un mode humoristique: Cette année les aveugles verront peu, les sourds oïront assez mal, les muets ne parleront guère; vieillesse sera incurable cette année à cause des années passées…

2 - La Renaissance

"La médecine ressuscite des morts" G d’Andernach: retour à l’Antiquité. La médecine au XVI ème siècle va être à la fois progressiste et conservatrice: d’une part elle essaie de changer les méthodes et de se moderniser et d’autre part elle retourne aux textes de l’antiquité. Ceci coïncide avec les débuts de l’imprimerie et la chute de Byzance en 1454 suivie par l’évasion importante des manuscrits antiques vers l’Italie puis vers Bologne et Paris qui deviendront les places fortes du galénisme.

Les progrès considérables de cette époque furent favorisés par:
...- l’emploi plus courant du papier (arrivé de Chine en 1150),
...- l’apparition de l’imprimerie vers 1440,
...- l’invention de la gravure illustrée. Deux grands artistes ont eu une influence profonde sur la science : Léonard de Vinci et Albrecht Dürer (sans oublier Michel-Ange). Le premier réalisa des planches anatomiques d’une grande précision, le second rédigea des ouvrages sur les proportions du corps humain.
...- les grandes découvertes géographiques,
...- les découvertes scientifiques en botanique, zoologie, physique, chimie, astronomie et mathématiques,
...- le protestantisme, étant ouvert aux échanges commerciaux et intellectuels, a été favorable au développement de la science.
Toutes ces découvertes montraient que le savoir des anciens était limité ainsi que l’enseignement de la Bible.

Les médecins

Durant le XVI ème siécle  les médecins célèbres furent surtout des anatomistes et des chirurgiens. La Renaissance sera marquée en outre par le développement de la balnéothérapie, sous l’influence de l’école de Padoue, et l’installation dans les villes d’établissements d’hébergement en cas d’épidémies. Ces établissements seront gérés le plus souvent par les villes elle-mêmes et non plus par l’Église.Les hôpitaux et les hospices servent encore essentiellement à loger les pauvres et les infirmes plutôt qu’aux traitements. On y crée des salles réservées aux personnes atteintes de troubles de l’esprit, que le Suisse Félix Platter (1536-1614) à décrit.

Les médecins sont souvent groupés en collèges et d’origine aisée. Il est remarquable, comme nous l’avons déja vu, que la plupart d’entre eux sont polyvalents: à la fois médecin, mathématicien et astronome comme Fernel; professeur de grec et de Latin, philologue et traducteur comme Günther d’Andernach; ou encore théologien et médecin comme Servet; grammairien et botaniste comme Sylvius (Jacques Dubois).

Voici quelques médecins célébres de cette époque :

Ambroise Paré (1517-1590) qui a mis au point de nombreuses techniques chirurgicales et des instruments adéquats ainsi que des appareillages orthopédiques (mains artificielles et bras et jambes articulés). Il fut le premier à abandonner la cautérisation des plaies à l’huile bouillante. Il sait extraire les cristallins de l’oeil et les calculs de la vessie.

Paracelse (1493-1541), Théophrastus Bombastus von Hohenheim, zurichois, a introduit la chimie pharmaceutique (emploi des métaux et métalloïdes, médecine spagyrique et iatrochimie, utilisation des minéraux) mais il reste attaché à l’alchimie et l’astrologie médiévale. Il est le père de la médecine hermétique. Il identifie la silicose (pneumoconiose par inhalation de poussières de silice) et la syphilis congénitale, rapproche goître endémique et crétinisme. Il est totalement anti-galéniste.

Fracastoro Girolamo (1483-1553), médecin et naturaliste de Vérone a nommé la syphilis et décrit le phénomène de contagion en évoquant la présence de germes, "la seminaria".

Jean Fernel (1497-1564) met à l’honneur l’observation et la déduction mais considère la médecine comme une branche de la philosophie. Il fut médecin de la famille royale. Dans "La médecine universelle" il a divisé la médecine en diverses disciplines.

André Vésale (1514-1564) célébre anatomiste flamand auteur de "De humani corpori fabrica", ayant gravé lui-même des planches anatomiques, enseignait la réalité anatomique. Il est comme Fernel aristotélo-galénique.

Michel Servet (1511-1553) médecin et théologien espagnol qui fut brûlé vif pour son oeuvre jugée hérétique. Il avait découvert la petite circulation et ouvert le chemin à William Harvey qui découvrit la grande circulation en 1628.

Citons encore Fallope (1523-1562), italien, qui enseigna à Pise et à Padoue, anatomiste; Eustache (1500-1574) également anatomiste italien, qui commanca l´ostéologie, anatomie de la tête et oreille interne, dentition, rein.

Jérome Cardano (1501-1576), matématicien et médecin titulaire de la chaire de Pavie différencie la rougeole et le typhus exanthématique (du à la prolifération de poux du corps, rickettsiose).

Des botanistes et des zoologistes également médecins apportèrent leur contibution: Guillaume Rondelet (1507-1566) médecin à Montpellier est auteur d’un traité de pharmacologie et d’études sur les poissons. Il fut procureur des étudiants et fit édifier un amphithéâtre d’anatomie. Il fut chancelier de l’Université de 1556 à 1566. Il est dans l’oeuvre de Rabelais "Rondibilis" que Panurge consulte en vue de son mariage.

Léonard Fuchs (1501-1556) enseigna la médecine à Tübingen; il fit des recherches sur la lèpre et réalisa un herbier pharmaceutique.

Vesale, Servet et Rondelet furent les éléves de Günther d’Andernach. Sylvius (Jacques Dubois) fut un professeur d’anatomie célébre à partir de 1531 à Paris. Excellent systématiseur, il savait faire comprendre d’une manière moderne et claire les systèmes organiques. Il attirait les étudiants de l’Europe entière et il pouvait y en avoir 400 à 500 à ses cours. Inconditionnel de galien, il défendra ses erreurs en disant que "l’homme avait changé, mais pas en bien".

3 - L’enseignement de la médecine: de grands changements

Le nouveau langage médical

Si les médecins du Moyen-Age n’avaient à leur disposition que les traductions des arabes, il existe une autre catégorie de traducteurs qui ne doit pas être oubliée: celle de médecins juifs italiens; les traducteurs les plus compétents se serviront et de la langue de la Bible et de celle du Talmud. L’un d’eux était Azriel ben Joseph qui retraduit le canon d’Avicenne en 1491. Les autres emploieront le bas-latin, très pauvre, et garderont de nombreux termes arabes ou grecs. Ce latin médiéval, comprenant un vocabulaire polyglotte donnera naissance à des termes techniques vernaculaires (propres à une discipline). Lors des premières dissections la nomenclature est très confuse et on observe un foisonnement de synonymes pour un seul organe. On parle de mirach (paroi abdominale), siphac (péritoine) ou de zirbus (grand épiplon). Malgré l’emploi du latin, l’arabe continue à être une langue scientifique et signalons que l’une des premières chaires créées au collège Royal, plus tard collège de France (1529 François I), fut celle d’arabe, et sera confiée à un médecin.

Les premiers textes anatomiques connus directement, sans l’intermédiaire des arabes, furent ceux d’Aristote (1476 traduit en latin par T. Gaza), de Celse et de Pollux. Les oeuvres complètes de Galien sortiront en 1525 à Pavie (éditions Aldus) et celles d’Hippocrate l’année suivante. La traduction de Galien du grec au latin fut faite entre 1522 et 1541, celle d’Hippocrate en 1525. Le premier livre de médecine fut imprimé à Florence en 1478 : le De arte medica de Celse (le Cicéron de la Médecine). Il fut édité par Caesarius et comportait une introduction de Melanchton. C’est un chef-d’oeuvre médical de la littérature latine. Celse créa, de toutes pièces, le latin médical à partir du grec, un exploit philologique. il introduisit des mots tels que abdomen, anus, cartilago, humerus, occiput, patella, scrotum, tibia etc.

Une autre encyclopédie latine constitue un monument de la littérature médicale, celle de Pline l’Ancien (23-79).

L’Onomasticon (vocabulaire) de Pollux (132-192) a eu une très grande importance. Traduit par Valla sous le titre de "De humani corporis partibus" il est paru à Bâle en 1527. Il fait entrer dans la nomenclature des mots tels que amnios, axis, clitoris, gastrocnemius, trochanter etc.

La philosophie médicale humaniste

Trouvant les textes traduits à partir de l’arabe erronés et incomplets, la terminologie confuse, les médecins avaient donc voulu retourner aux sources et les lire directement dans leur langue d’origine. Ils vont alors commencer à critiquer la séparation théorie/pratique en vigueur au moyen-âge, qu’ils ne retrouvent pas dans les textes de l’antiquité. Il va y avoir une guerre entre les "galénistes" et les "arabistes".

Fernel divise alors la médecine en cinq parties : la physiologie, l’étiologie, la séméiologie, l’hygiéne et la thérapeutique. Cette division aurait selon certains ses origines dans l’école d’Alexandrie. Cependant les deux modèles se recoupent : La physiologie, la séméiologie et l’étiologie font partie de la médecine spéculative, philosophique, alors que l’hygiène et la thérapeutique relèvent de la médecine pratique et curative ou encore active. Cependant Fernel apporte quelquechose de tout à fait nouveau.

La médecine dite spéculative ou encore "contemplative" était beaucoup plus prisée et mieux payée que la médecine curative; mais on avait oublié le principal: prévenir les maladies et traiter les malades. La médecine doit être un tout et la théorie doit servir la pratique dont le seul but est la santé de l’homme.

Cette théorie des cinq branches de la médecine va devenir la référence au XVI ème siécle. L’enseignement va peu à peu se transformer de la simple lecture des textes à un enseignement de sujets précis à visée pratique. La médecine scolastique était une part de la philosophie alors que la médecine de la renaissance va rendre la théorie et la pratique dépendantes l’une de l’autre. La médecine devenait un tout, tel que le disaient Galien et Aristote. Vers 1540 commençera l’enseignement au près du lit du malade. La seule théorie relevante est celle qui permettra au médecin d’accomplir un travail de soin ou de prévention.

Là où le philosophe s’arrête, le médecin commence, Thomas d’Aquin, théologien du XIII ayant étudié Aristote.

Si la médecine scolastique fut sous le joug de la philosophie de la nature, on peut dire que la médecine de la renaissance va être mise sous le joug de la pratique.

Pour et contre Galien: le scepticisme

Outre la querelle entre galénistes et arabistes (Vésale/Paracelse) du début de la Renaissance va naître celle des galénistes inconditionnels et sceptiques (Bertini/Argentiero) dans la deuxième moitié du XVI ème. Argenterio mettait en doute tout le programme médical des humanistes: selon lui, le retour à l’Antiquité n’apportait aucune certitude en matière médicale. On trouvait de nombreuses contradictions dans les oeuvres de Galien et aussi des erreurs. Il reconnaît que son immense production a favorisé ces erreurs et que les médecins le suivant aveuglement sont les plus coupables. (De nombreux exemples de scepticisme se retrouvent déjà dans les écrits de Cicéron et Diogène et même chez Galien.)

Le scepticisme faisait cependant partie de la manière qu’avaient les humanistes d’appréhender les sciences. Il les attaque comme ceux-ci avaient attaqué les scolastiques: Alors qu’ils tenaient pour parfait le savoir des textes antiques,  ils n’avaient plus besoin de trouver quoique ce soit de nouveau. L’autorité des textes est mise en doute. Argentario essaie de favoriser le rôle de l’expérience (expérimentation) sur celui du dogme pour établir une science médicale en le conjugant à la raison.

Ainsi le succès de Galien, trop dogmatique fut affaibli alors que celui d’Hippocrate grandit en vertu de son approche plus pratique de la médecine. La médecine de la Renaissance est donc "entre deux eaux": elle essaie très fortement de se renouveler tout en s’appuyant sur le monde antique. Les deux courants vont côte à côte: la ligne philosophique aristotélo-hippocrato-galènique et l’approche empirique.

Le cursus de l’étudiant en médecine: exemple de Rabelais

Les études durent trois ans, deux ans et demi à l’Université et six mois en dehors. Cette période se solde par l’examen de bachelier. Le 17 septembre 1530 Rabelais s’inscrit à la faculté de Montpellier à l’âge de 40 ans. Début des cours 6 semaines plus tard. Trois mois après son inscription, le premier novembre il est reçu bachelier en médecine par son maître jean Schyron. Il eut une dispense pour cette rapidité ce qui implique qu’il ait déjà été célébre en médecine.

Le bachelier doit alors faire un cours publique. Son sujet fut "Les aphorismes d’Hippocrate" et "Le petit art médical" de Gallien. Il fit sensation en commentant le texte grec. Il part à Lyon en 1532 où il va publier plusieurs ouvrages de médecine. Ces savants écrits font qu’il est nommé médecin à l’Hôtel-Dieu du Pont-du-Rhône cette même année. Il gagne 40 livres par an.

L’examen suivant est la licence et demande au médecin d’avoir soutenu plusieurs thèses sur des sujets donnés souvent la veille ainsi que de s’être présenté à un examen ressemblant aux "cliniques" actuels. Rabelais en acquièrt les droits le 3 avril 1537 (4 livres). 

Puis, vient le doctorat "facile et onéreux triomphe" avec sonnerie de cloches et procession en musique etc… disait un professeur. Il existe deux promotions de doctorat: la grande et la petite. La première comporte plus de pompe. Le candidat est promené à  cheval à travers la ville au son des trompettes. Il donne, la veille de la promotion à tous les docteurs, chirurgiens et apothicaires, une sérénade de trompettes, fifres et violons.

De 1537 à 1538 Rabelais est de nouveau à Montpellier où il devient docteur le 22 mai 1537 sous Maître Antoine Griffy. Il enseignera après avoir fait le cours de stage, complément du doctorat.

Les grands fléaux de l’époque

...- La syphilis (mal de Naples ou mal français)
...- La blénorrhagie (gonococcie)
...- Le typhus éxanthématique (rickettsiose)
...- La diphtérie (bacille de Klebs-Löffler) et le croup (diphtérie laryngée)
...- La variole (virus de la variole, éradiqué en 1978)
...- La rougeole (myxovirus)
...- La peste (bacille de Yersin, zoonose des rongeurs: rat, puce, pou et punaise)
...- La grippe
...- Le scorbut (avitaminose C)
...- La lèpre (bacille de Hansen)

4 - Bibliographie

Cl. Chastel, A Cénac: Histoire de la médecine. Introduction à l’épistémologie (Partie de la philosophie qui étudie l’histoire, les méthodes et les principes des sciences). Ellipses
Timo Joutsivuo, Heikki Mikkeli: Renessanssin tiede.Tietolipas
Pierre et Christiane Nicq: François Rabelais et l’Ècole de Médecine de Montpellier. Bibliothèque interuniversitaire de Montpellier Rabelais: Oeuvres complètes. Pléiade
Histoire de la Médecine: Les médecins-astrologues de la Renaissance. Bibliothèque universitaire de Lyon
Société Internationale d’Histoire de la Médecine: Une histoire de la Médecine. SIHM (site Internet)
Actaruce/médecine: La Médecine au Moyen-Age. (Internet)
Pierre Huard, M Impault-Huard: Histoire de Vesalius. Université R.Descartes Paris. Ed. Dacosta
Bartholomé Bennassar, Jean Jacquart: Le XVI ème siécle. Ed. Armand Colin
A consulter à la bibliothèque de Lyon:
Roland Antonioli: Rabelais et la médecine. Droz Genéve 1976
Ernst: La médecine et les mèdecins en France à l’époqie de la Renaissance. Paris 1905